Billets

Face aux risques de chaos, l’urgence du compromis ?

Le 8 avril 2025 était organisé à l’Assemblée Nationale une conférence – débat à l’initiative de Dominique Potier, député et président d’Esprit Civique. Les intervenants étaient Laurent Berger, directeur de l’Institut Mutualiste pour l’Environnement et la Solidarité, et Amandine Lebreton-Garnier, directrice du Pacte du Pouvoir de Vivre, avec comme « répondant » Alexandre Poidatz, responsable du plaidoyer Climat et inégalités chez Oxfam France.

Plusieurs membres d’Esprit Civique étaient présents lors de cette soirée. François Soulage nous propose ici ses réflexions, à partir de notes prises en séance.

Pour maîtriser le chaos dans lequel nous avons le sentiment de nous retrouver nous avons besoin de construire une transition vers une société plus juste et plus fraternelle.

Mais la crise démocratique qui touche tous les pays, ne permet pas la mise en place d'un débat contradictoire posant les questions aussi essentielles que le lien entre transition écologique et lutte contre la pauvreté.  Cette crise permet difficilement la recherche des compromis indispensables. Entre ces deux enjeux qui paraissent contradictoires :

Que signifie rechercher le compromis ?

Le compromis est une sortie d'un conflit en proposant des solutions. C'est une action dans laquelle la radicalité peut cependant trouver sa place. Cela signifie garder le cap sur les enjeux et sur la méthode, et être clair sur ses valeurs. Le chemin à prendre dès lors réponds à quatre impératifs : la confiance entre les acteurs du débat, la légitimité de ces acteurs, la coopération possible entre eux et enfin le témoignage des réalités qui s'imposent à l'ensemble de ces acteurs. Cette appréhension des réalités permet de conclure que tout n'est pas chaos. Pour cela il faut prendre le temps d'expliquer les complexités des situations et expliciter également les réponses à trouver

Compromis et non compromission

Dans la recherche du compromis il faut éviter de tomber dans la compromission, c’est-à-dire renoncer à ses valeurs et entrer dans le jeu de son partenaire en renonçant d’avance à ses propres intérêts.

Si on veut éviter la compromission, il ne faut pas négocier son socle de valeur ni ses principes d'action. Il faut construire un jeu d'acteurs en admettant qu'il peut y avoir des intérêts contradictoires. La discussion doit se faire autour de propositions qui peuvent être radicales et définir clairement les enjeux, à partir d’un regard sur la réalité qui s'impose au débat. Par exemple, la pauvreté qui s’accroit pour certaines catégories sociales, les difficultés à accéder à un logement, la mobilité géographique ou personnelle difficile et coûteuse, les inégalités fiscales.

Un compromis réussi

Un compromis réussi est celui qui engage la responsabilité des deux parties qui décident d'aller au-delà du simple fait de se faire confiance. Cette capacité de compromis n'est pas naturelle, elle demande d'avoir une pratique que beaucoup d'acteurs peuvent avoir acquis dans l'éducation populaire mais qui se retrouve peu aujourd'hui parmi les personnes engagées. Dans une démarche de compromis, il faut admettre que « tout n’a pas été tenté », qu’il y a des solutions alternatives. L’expression radicale « il n’y a pas d’alternatives » doit être rejetée.

Compromis, consultations et concertations

Pour bien comprendre ce qu'est le compromis il faut rappeler que la simple consultation ne peut pas être le début du compromis car il n’y a pas alors de volonté de dialogue, mais simplement d’écoute.  La concertation au contraire peut en être le début, car il y a volonté de parole et d’écoute réciproque comme cela a eu lieu lors du Grenelle de l'environnement.  Elle peut aboutir à un compromis si on prend le temps de le rechercher et de le faire de manière collective. Or construire un collectif demande du temps. En revanche, si la défiance s'installe le dialogue vers le compromis n'est plus possible.

Compromis et action collective

Aujourd'hui la capacité d'agir en collectif semble s'affaiblir. Les acteurs de la société civile porteurs des réalités vécues, sont moins écoutés.  Les valeurs des uns et des autres sont moins prises en compte. Les conditions du compromis sont plus difficiles à remplir. Si l'on peut, et l'on doit, continuer à s'indigner face à certains changements, par exemple le changement climatique, il faut à la fois, accompagner ces changements en constituant des coalitions d’acteurs, outils du collectif, pour construire des compromis et dans le même temps, continuer à s'indigner. C'est là que demeure la radicalité nécessaire.  

Il faut, dans cette démarche, accepter une certaine impuissance. En effet, la recherche du compromis n'empêche pas d'avoir des valeurs non négociables. La question est de savoir si nous sommes capables de les faire partager par nos partenaires et pour cela, il faut laisser de la place à l'incertitude et l’assumer dans toute négociation.

Faire avec

Dans la recherche du compromis pour sortir du chaos il faut maintenir ouvertes toutes les possibilités et tous les lieux de dialogue. Pour cela, il faut reconnaître l'action des citoyens et tout particulièrement celle des personnes issues des quartiers populaires. « Agir avec » est le seul moyen de faire accepter le compromis car ces personnes auront été les acteurs.  L’expérience prouve que dans la recherche du compromis, il faut des « agents de compromis » si l'on veut écarter la verticalité comme cela s'est produit avec les gilets jaunes. Ils n’ont jamais pu entrer dans un processus de négociation. Les mesures prises à l’époque ne sont pas le résultat d'un compromis, et n’ont en réalité pas été ressentie comme le résultat d’une écoute des besoins et des frustrations. Ce n’était pas un compromis permettant d’avancer en commun. Aujourd'hui c'est le sentiment d'impuissance, de non-écoute, qui crée la frustration.

L’enjeu est donc aujourd'hui le retour à une démocratie ouverte mobilisant l’ensemble des acteurs dans une attitude d’écoute réciproque et de recherche d’un compromis permettant de faire face au chaos.